L’HOMME AFRICAIN ET LA QUESTION DE LA LIBERTE A L’ERE DE LA MONDIALISATION
L’Afrique du XXIe siècle connaît une mutation multidimensionnelle, dont les différentes facettes prennent sens dans le vocable très actuel de la mondialisation. La mondialisation (ou globalisation selon les anglo-saxons) correspond à la mise en œuvre d’un ensemble d’efforts consistant à hisser à l’échelle planétaire des phénomènes d’ordre divers : économique, politique, culturel, épistémologique, et même religieux… Ce processus, dont dépend le développement certain des peuples aujourd’hui, est au principe d’une image à bien des égards galvaudée : « le village planétaire ». Mais la déchéance du continent noir, au cœur même de notre village planétaire ne signale-t-elle pas au fond la dépersonnalisation, voire l’aliénation de l’homme africain ? Face à une telle préoccupation, on ne peut pas ne pas risquer une réflexion sur la question de la liberté de l’homme africain à l’ère de la mondialisation. Comment donc penser la liberté de l’homme africain dans un contexte de mondialisation ?
I- Les racines d’un problème : la Liberté
La Liberté demeure une question préoccupante pour tout homme, puisqu’elle est toujours liée à un projet de mieux-être ; parce qu’elle porte le sens d’une aspiration toute légitime au Bonheur. Tout homme aspire à la liberté. Mais il convient encore de déterminer en quoi consiste-t-elle. Loin d’être le loisir de faire tout ce qu’on veut, quand on le veut et comme on le veut, la liberté se définit au-delà de la simple possibilité d’action. Selon KANT, elle assume bien cet aspect ; mais elle est aussi la capacité d’agir selon la loi morale qu’on s’est soi-même fixée. Car « la liberté.. se présente d’abord comme une loi morale » . Comme telle, elle exige du sujet une activité préalable de la raison qui éclaire ses choix et oriente son action, entendue que cette dernière vise toujours le Bien, et le Bien universel. C’est donc dire que la liberté existe là où la raison, débarrassée des colifichets des passions, des désirs, des erreurs… est capable d’opérer le choix salutaire du Bien.
Dès lors, l’Afrique de ce XXIe siècle ne connaît-elle pas une crise de la liberté ? Le processus de globalisation permet-il toujours à l’homme africain de faire le choix du Bien ? Examinons plutôt la situation de l’africain dans son univers mondialisé.
II- L’Homme africain : le prisonnier du Village planétaire.
En plein cœur du Village planétaire, l’africain se trouve quadrillé, claustré, perdu, sans repères sans direction, face à une culture dite universelle, aux connexions multiples et complexes dont il ne connaît les lois ni ne comprend le sens. En effet, l’homme africain subit le dictature d’une culture élaborée en dehors de lui et sans lui ; une culture dite universelle, mais qui ne valorise que les paradigmes et les schèmes occidentaux. Les nouvelles technologies de la communication, instruments impitoyables du Néo-impérialisme occidental, exercent sur l’africain une influence réelle, presque kafkaïenne, qui débouche à son aliénation, qui le sort du siège rassurant de sa propre culture pour le jeter dans le vide d’une culture sans visage. L’africain sombre ainsi dans un mimétisme servile et dépersonnalisant, parce que manquant de repères. Il vit dans une dépendance à plusieurs niveaux nocive, lui qui se révèle le consommateur irréfléchi des fruits de la mondialisation. On voit souvent de jeunes africains affairés à reproduire des modèles occidentaux, dans leur comportement vestimentaire, linguistique, etc., recueillis au moyen de l’Internet et des abondants moyens de communication des temps modernes.
En contexte de mondialisation, l’africain se présente comme un prisonnier, aliéné par la culture d’assujettissement des puissants du monde, sous le masque enjolivé de la globalisation. L’homo africanus est l’homo captivus, de la mondialisation. Seulement, avons-nous le droit de désespérer en des possibilités d’une libération de l’africain ?
III- Les clairières de la liberté.
Il n’est pas juste de garder l’africain dans le désespoir d’une liberté à jamais perdue. Et bien plus, les enjeux politiques, économiques et culturels de notre siècle sont si importants, qu’il est inadmissible d’économiser les mécanismes de libération de l’homme africain. Une libération s’impose donc, qui ne doit plus être envisagée sous le paradigme du « cri de l’homme africain ». L’heure en effet n’est plus seulement à la dénonciation et à la revendication, par lesquels l’africain risque bien de ne rien obtenir de personne. L’heure est plutôt à l’action, qui s’apparente désormais à un combat. C’est le combat pour la vie, c’est à proprement parler, la création, le dégagement de vastes clairières de la liberté pour l’homo africanus.
C‘est certainement dans cette logique agonistique que l’idéaliste allemand Georg Friedrich HEGEL, clamait : « La liberté ne s’obtient que par une conquête progressive de l’esprit humain dans l’histoire du réel et du rationnel » . Pour Hegel, la liberté est le fruit d’une conquête laborieuse et permanente. Elle est acquise au bout du combat acharné pour la vie, et par le travail ou l’action novatrice et modificatrice dans l’histoire. Telle est la leçon que nous livre la Dialectique du maître et de l’esclave, où l’on voit l’esclave s’affranchir par le travail et devenir le maître de sa propre condition et le maître de son maître, aussi paradoxal que cela puisse paraître ! L’africain devrait le comprendre aujourd’hui, pour sortir de sa position d’aliéné culturel, économique politique…, pour devenir le maître de son propre destin. Par le labeur acharné, il doit élaborer ses propres représentations, ses propres modèles et les présenter à la face du monde, pourquoi pas ! Il doit apprendre à vaincre par lui même la nature, d’en devenir « maître et possesseur », comme le soulignait Descartes, afin de cesser de s’aliéner et de s’humilier dans le geste frêle de la main tendue.
Il doit s’affirmer aujourd’hui plus que jamais comme un homme responsable de soi et de ses productions. Saint-Exupéry affirmait d’ailleurs : « Etre homme c’est précisément être responsable… C’est sentir en posant sa pierre que l’on contribue à bâtir le monde » (4) L’africain donc doit être responsable dans son propre processus de mondialisation et doit par-dessus tout être capable de CHOISIR la mondialisation de manière raisonnable et libérante, afin de dire avec Levinas que « Là où j’aurais pu être spectateur, je suis responsable » .
Cela exige donc de notre homme – et on le voit bien – non qu’il se soustrait du processus de la globalisation – cela est impossible – mais qu’il déploie sans ménagement les armes qui sont les siennes. Non pas les kalachnikovs de rebellions, non pas les machettes génocidaires, non pas la ruse de la corruption, mais les richesses infinitésimales de sa nature humaine, à savoir sa raison, son cœur, sa fantaisie et sa joie de vivre, pourquoi pas !
L’homme africain a besoin d’être original s’il veut se libérer de l’oppression d’une mondialisation sans conscience et perverse. Il y va de la nécessité d’une pensée créatrice, comme le révèlera Tsibilondi Ngoyi qui affirme à propos : « L’engagement pour une mondialisation de justice suppose de mobiliser les capacités de pensée. En effet il ne s’agit pas de répéter de vieilles formules ou des leçons apprises. Il ne s’agit pas de sortir des recettes magiques. Il faut créer, innover. Cet engagement nécessite donc une pensée critique. Elle est incontournable » . On comprend donc que seule une pensée critique permettra à l’africain de choisir la mondialisation, non de la subir ; d’en être un artisan sérieux et appliqué, de proposer lui aussi un discours au monde qui soit valide et qui porte l’humanité vers l’avant. La pensée critique permettra à l’Homo africanus d’éprouver le fait d’être libre. Ainsi seulement, pourra-t-il apporter sa couleur à l’arc-en-ciel des nations, sa note à la mélodie des peuples dans une fête haute en couleurs et en sons : le bal des nations qui annonce l’avènement d’un humanisme nouveau.
Et à la fin, il est indispensable aujourd’hui de penser la liberté de l’africain en gardant l’esprit particulièrement attentif au Mystère fondateur de toute existence, en gardant les yeux levés vers le Ciel de toute humanité.